Comment pourrait-on être utile dans les semaines et les mois qui viennent si on se contentait de plaquer des vœux pieux de changement (du genre « plus rien ne devrait être comme avant ») sur la reconduction, plus ou moins avouée, des impasses organisationnelles et managériales des années passées ?
En somme, dans tout le bruit médiatique sur la crise sanitaire et, pour une large part, économique, peut-on faire la place qu’elles méritent à quelques questions étroitement intriquées :
• Qu’est-ce que le confinement nous a appris que le projet de « Société de la compétence » (prôné dans la Loi du 5 septembre 2018) ne pourrait se permette d’ignorer ?
• Qu’est-ce que les entreprise et leurs partenaires sociaux devraient prendre au sérieux dans de futurs Accords (et d’abord dans des travaux à confier d’urgence aux Observatoires de branches et aux OPCO) ?
Ces sujets ne sont pas des considérants abstraits ni des interrogations « hors sol ». Qu’on en juge :
Quand une entreprise de fabrication classique (de l’automobile, du matériel de propreté industrielle, de la confection de luxe ou de la parfumerie, … ) se déporte en 3 semaines sur la fabrication de respirateurs , panneaux protecteurs (en plexiglas) , masques (de diverses sortes), sur-blouses et autres gels hydroalcooliques …
Qu’est-ce que cela nous dit sur nos 3 questions ?
Quand un médecin gynécologue ou une infirmière en pédiatrie se portent en réanimation ou que des internes se muent en brancardiers…
Qu’est-ce que cela nous dit aussi ?
Et quand les métiers dits « non qualifiés » sont ceux qui, depuis des semaines, font tourner les rouages essentiels au maintien de l’activité et de la cohésion sociale du pays ?
Ou quand encore des dizaines de milliers de télétravailleurs ont pris goût à l’autonomie, au collaboratif, et non aucune envie de revenir à l’open space (pour certains avec des hiérarchiques qui n’ont aucune autre plus-value que le contrôle et le reporting) ?
Et enfin quand les « managers de proximité » s’interrogent, eux, sur la façon de faire vivre à distance la proximité, la confiance et des dynamiques partageables ?
Tous ces faits – et il en est d’autres ! – nous parlent non pas d’un « monde d’après », hypothétique et/ou fantasmé, mais du monde d’aujourd’hui et de ses capacités bien réelles à renouveler les usages, les organisations du travail et les approches des métiers et des qualifications…
Ce devrait être l’occasion de s’interroger sur au moins deux points, presque deux « tabous » lorsqu’on les relie : la mobilité professionnelle et la pluralité des modes de développement et de mobilisation des compétences.
Au-delà des circonstances tragiques et de l’urgence sanitaire qui ont à la fois encouragé et permis certaines des évolutions/translations rapportées plus avant, sachons voir ce qui aurait pu et parfois dû bouger – certes moins vite, moins fort – de toutes les façons.
Sachons aussi accepter de regarder en face les conséquences qui devraient en résulter sur la façon de concevoir la construction des métiers, l’« affectation » de compétences, à chacun d’eux et/ou à plusieurs d’entre eux de façon concomitante, et donc à termes à l’impact sur l’actuel système français des Conventions Collectives.
Ce pourrait être le fil conducteur d’un ou plusieurs travaux de recherche et, à tout le moins, d’études « décomplexées » et ouvertes des Observatoires paritaires de branches. Pour l’heure, on se contentera d’une esquisse, en forme d’invitation à réfléchir et produire des repères pour vivre durablement dans l’incertitude sans la subir…
Posons-nous dès maintenant la question des conséquences possibles au plan des branches et des secteurs.
En effet, au-delà du récent « Accord National Interprofessionnels sur l’encadrement », qui pose enfin sur d’assez bonnes bases les fonctions et les rôles du management dans l’accompagnement du développement des compétences des salariés (en place ou entrant dans l’entreprise, notamment via l’alternance), le paritarisme a « du pain sur la planche » : le Rapport Quinqueton et la Loi El Khomri, d’abord, le débat autour du Rapport Marx-Bargoski et les OPCO, les réflexions de BERCY au moment du PACTE : tout porte à s’interroger sur les périmètres actuels et à venir des Branches et donc des métiers et qualifications dans et hors leur champ.
Il y a des antécédents, peu nombreux et « discrets », mais significatifs des bouleversements possibles (et que la Réforme de septembre 2018 peut permettre de reprendre en compte, du fait de l’émergence des « blocs de compétences ») ; citons-en au moins un : l’émergence de l’Agent d’Entretien du Bâtiment (AEB), qui eut tant de mal à convaincre qu’il n’était pas un ouvrier du bâtiment « low-cost », « touche à tout » ou « bouche trou », avant de faire ses preuves et d’être apprécié dans de nombreux secteurs, de l’Habitat au Tourisme.
Là où on parlait de quelques exceptions, parties du terrain et de besoins ciblés des entreprises, il va bientôt falloir interroger à grande échelle les nouveaux « assemblages » d’activités et de compétences, aussi bien résultant de l’introduction de « doses » plus ou moins importantes de numérique (voire d’Intelligence Artificielle) que de recomposition à partir de métiers « classiques » impactés par les évolutions « servicielles » …
En l’affaire, les expériences des années 1990-2000 des « Nouvelles Qualifications » avec Bertrand Schwartz et des « Nouveaux Services – Emplois Jeunes » pourraient utilement être convoquées, pour ce qu’elles ont fait émerger de nouvelles réalités, notamment dans le domaine des « emplois verts » et désormais de la « transition écologique », je peux en témoigner personnellement…
Si l’essentiel des observateurs et prospectivistes misent sur la « mobilité » des personnes et l’« agilité » des organisations et du management, et si les frontières des Branches sont appelées à s’effacer au profit de « communautés » de grands Secteurs, alors le sujet des semaines, des mois et des années à venir devrait être celui d’un grand appel d’air sur les « agrégats » et « recompositions » d’activités et de compétences , pour que de « nouvelles réalités de métiers » trouvent leur place, partout où leur usage commence à se dessiner et que les partenaires sociaux en soient les accompagnants décisifs jusque dans des « Accords collectifs » d’un genre nouveau.
Jacques FAUBERT,
consultant-ajc@hotmail.fr